vendredi 17 avril 2020

Pétrole: Russie, États-Unis et Arabie Saoudite, qui serait le plus perdant?

Vous le savez, le prix de l’or noir subit plusieurs pressions à la baisse depuis un certain temps. Déjà mis à mal au début de l’année à cause du ralentissement économique qui s’entamait à la fin de 2019, celui-ci a plongé à la suite de la pandémie de Covid-19 et des mesures de confinement prisent un peu partout à travers le monde. Le dernier élément qui explique cette chute est l’incapacité, jusqu’à cette semaine, des principaux pays producteurs à trouver un accord pour réduire leur production afin de soutenir les prix.

Bien que les pays membres de l’OPEP et la Russie avaient déjà décidé de réduire leur production d’hydrocarbure en janvier, la baisse de production proposée par l’Arabie Saoudite fin février n’avait pas trouvé l’accord de Moscou. Contrarié, Riyad décida unilatéralement d’augmenter sa production journalière en plus de baisser ses prix entrainant du coup une baisse de plus de 50% des cours mondiaux.

Dimanche dernier, les principaux pays producteurs sont finalement arrivés à un accord prévoyant une baisse de 10 millions de barils par jour pour les mois de mai et juin prochain. Ce nouvel accord fut présenté dans la presse comme une défaite cinglante pour la Russie qui se voyait contrainte à réduire sa production, et ainsi, de revenir sur sa décision d’il y a quelques semaines. Qu’en est-il réellement? Est-ce que Moscou était vraiment le pays qui avait le plus à perdre dans cette guerre des prix?

États-Unis : un pétrole de schiste trop coûteux

Avec une production journalière estimée à 19,5 millions de barils par jour, les États-Unis sont devenus le principal pays producteur de pétrole. Le tout s’est fait en quelques années, grâce au pétrole de schiste, ce qui a permis aux Américains de réduire considérablement leur importation d’or noir et permet presque au pays d’être autosuffisant dans ce secteur. Toutefois, cette nouvelle manne pétrolière apporte son lot d’incertitude quant à sa soutenabilité.

En effet, outre les problèmes environnementaux qu’il engendre, le pétrole de schiste a un principal défaut, il coûte cher à produire et sa qualité est inférieure au pétrole conventionnel. Avec un prix d’extraction avoisinant les 40 dollars, l’industrie ne peut pas endurer très longtemps les prix actuels. En plus de produire à perte, les compagnies pétrolières œuvrant dans le secteur sont très endettées et une série de faillites est à prévoir si les prix restent bas pendant un certain temps.

Cela vient du fait que l’exploitation du pétrole de schiste est hautement capitalistique. C’est-à-dire qu’elle nécessite des investissements majeurs pour maintenir sa production. Là où un puits de pétrole conventionnel nécessite un investissement initial unique pour pouvoir produire pendant des années, les puits de pétrole de schiste ne durent que quelques mois, au mieux deux ou trois ans. Cela force donc les producteurs à forer continuellement de nouveaux puits pour remplacement ceux qui s’épuisent. Or, avec les prix actuels, ces compagnies ont de plus en plus de difficulté à trouver le financement nécessaire pour poursuivre leurs activités alors même que plusieurs d’entre elles étaient déjà très endettées avant la baisse des prix. Plusieurs faillites sont à prévoir si la situation devait durer dans le temps.

Néanmoins, bien que la situation serait dramatique pour le secteur énergétique américain, l’impact sur l’économie du pays et sur le budget du gouvernement serait relativement faible. En effet, l’économie du pays est très diversifiée et le secteur pétrolier ne représente qu’une petite partie de l’activité globale. Idem pour le budget, bien que le gouvernement recueille taxes et impôts grâce à ce secteur, Washington n’a pas besoin de ces revenus pour garantir ses activités contrairement à l’Arabie Saoudite.

Arabie Saoudite : énorme dépendance à la rente pétrolière

Avec une production avoisinant les 12 millions de barils par jours, l’Arabie Saoudite est depuis des décennies un acteur majeur du secteur pétrolier. Elle produit en quantité un pétrole à faible coût et d’une bonne qualité. De plus, le fait que son marché intérieur ne soit pas très important comparativement au volume extrait permet au pays de consacrer une grande partie de sa production à l’exportation, ce qui lui permet de toucher une rente pétrolière conséquente lui permettant de financier ses activités.

Or, cet avantage devient rapidement une faiblesse lorsque les prix du pétrole sont au niveau actuel. En effet, la manne pétrolière était si facile que le pays n’a pas su diversifier son économie au cours des années et demeure très dépendant de celle-ci pour boucler son budget. À vrai dire, le pétrole brut représente 65% de toutes les exportations saoudiennes tandis qu’un autre 30% vient du secteur de la pétrochimie. Colossal.

En réalité, Riyad tablait sur un baril à 75$ pour boucler son budget 2020. Il va sans dire qu’avec les prix que nous connaissons depuis quelques semaines, l’État saoudien creuse un déficit important. Celui-ci serait de l’ordre de 61 milliards de dollars selon sa dernière mise à jour budgétaire, soit un déficit de près de 8% du PIB, ce qui oblige le pays à piger dans ses réserves de changes qui ont déjà fondu comme neige au soleil au cours des dernières années.

La situation est d’autant plus dramatique que la manne pétrolière permet, en plus de soutenir le train de vie extravagant de la famille royale, d’acheter la paix sociale grâce à la subvention des salaires et des produits de première nécessité. En outre, elle permet aussi de soutenir des pans entiers de l’économie saoudienne qui ne pourrait tout simplement pas survivre s’ils étaient soumis à une compétition de marché normale.

Russie: une puissance énergétique plutôt que pétrolière

De son côté, la production pétrolière russe avoisine les 11,5 millions de barils de pétrole par jour. Le pays produit un pétrole de qualité intermédiaire, mais à faible coût qui vient principalement des champs pétrolifères de la région de l’Oural et de Sibérie occidentale. Cette production permet de fournir son marché extérieur en plus de participer de façon substantielle aux exportations du pays et au budget de l’État.

En effet, Moscou compte sur ses revenus pétroliers pour boucler son budget, mais n’est pas aussi dépendant que Riyad sur ce point. Si les bénéfices tirés du pétrole représentent près du quart du PIB saoudien, ils ne représentent qu’un peu plus de 6% en Russie. Un gros morceau, certes, mais pas au point de ruiner son économie en cette période de vache maigre. À vrai dire, le budget russe 2020 tablait sur un pétrole autour des 45-50$. Au prix actuel, le déficit ne devrait même pas atteindre 1% du PIB.

Les raisons sont multiples. D’abord, le gouvernement russe a mené au cours des dernières années une série de réformes nécessaires pour garder sa santé budgétaire, notamment une importante réforme des retraites qui, couplée à un endettement peu élevé, moins de 15% du PIB, et de l’aide de son fonds de stabilisation, permet au pays de financer son déficit à un coût relativement abordable.

Toutefois, la principale raison vient du fait que l’économie russe est beaucoup plus diversifiée que la plupart des pays producteurs de pétrole. Soyons clairs, le pétrole et ses dévirées constituent une part importante des exportations pays, environ 45%, mais il exporte également en grande quantité du gaz et du charbon ainsi que plusieurs produits miniers, manufacturiers et agricoles. À titre d’exemple, le gaz et le charbon représentent près du dixième des exportations russes presque autant que sa production métallurgique qui en représente 12% et son secteur agroalimentaire contribue, quant à lui, a près de 5% des exportations.

Alors oui, la guerre des prix qui est en court fait mal à l’économie du pays, c’est également vrai pour tous les pays producteurs de pétrole. Néanmoins, la Russie, au contraire des autres, doit être vue comme une superpuissance énergétique avant d’être une puissance pétrolière et bénéficie, dans une certaine mesure, de tous les avantages de ses rivaux pour passer à travers la crise.

À l’instar de l’Arabie Saoudite, le pays peut compter sur d’immenses réserves d’hydrocarbures ayant un prix d’extraction lui permettant de maintenir sa production malgré un prix du baril avoisinant les 30$ et, à l’image des États-Unis, son économie est assez diversifiée pour ne pas dépendre exclusivement de cette manne pétrolière pour maintenir sa solvabilité. Là où les États-Unis risqueraient l’effondrement de son secteur pétrolier et l’Arabie Saoudite l’effondrement du royaume, la Russie avait les reins assez solides pour continuer cette guerre des prix jusqu’à ce qu’un de ses adversaires faiblisse.

1 commentaire:

  1. Vraiment merci beaucoup c'est très édifiant et instructif �� cependant je souhaiterais échanger avec l'éditeur pour en apprendre davantage ��

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