jeudi 23 avril 2020

Pétrole: Comprendre les prix négatifs


Cela ne s’avait jamais vu, lundi, le pétrole se vendait à prix négatif sur le marché américain. En effet, le baril WTI livrable en mai s’est échangé aussi bas qu’à -37,65 USD. Comment est-ce possible et est-ce que cela peut se reproduire? La réponse est oui. Pour comprendre, il faut faire un retour en arrière.

Tout le monde connait cette partie de l’histoire, l’activité économique, déjà morose fin 2019, a considérablement ralenti à cause de la pandémie de Covid-19 et de ses mesures de confinement. Cette baisse d’activité a entrainé une baisse de la demande en pétrole ainsi que de son prix par la même occasion. Les pays membres de l’OPEP et d’autres gros producteurs comme la Russie et le Mexique (l’OPEP+) se sont donc réunis fin février pour tenter de trouver un accord sur une baisse commune de leur production pour soutenir les prix. Ce fut une impasse, l’Arabie Saoudite décida alors d’augmenter sa production en plus d’en baisser le prix. Le monde fût littéralement inondé de pétrole durant tout le mois de mars faisant chuter les prix à des niveaux jamais vus depuis des décennies.

Une production excédant la demande

Surprenant, la production mondiale de pétrole est restée sensiblement la même malgré la chute de prix, celle-ci ne s’est réduite que de 3 millions de barils par jour (mbj) environ. Tous les acteurs majeurs ont tenu bon, les cuves ont commencé à se remplir jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre les pays membres de l’OPEP+ pour réduire leur production de près de 10 mbj en mai et en juin, environ 10% de la production mondiale. Mauvaise nouvelle, c’était loin d’être suffisant.

Premièrement parce que cette baisse de production ne sera effective qu’en mai et qu’en ce moment, les producteurs finissent de remplir les cuves et d’abreuver le marché à un rythme avoisinant les 100 mbj alors que la demande, elle, a baissé. Tellement baissé qu’il ne faudrait pas une baisse de 10 millions, mais bien de 30 mbj, dès maintenant, pour retrouver un équilibre. (1)

Ces millions de barils excédentaires sont déjà extraits, négociés et vendus avec des dates de livraison. Or, la fin du mois arrive et plusieurs devront se faire livrer un pétrole, qu’ils ne veulent pas, dès mai. Il peut d’agir de raffineries qui tournent au ralentie depuis un certain temps, mais aussi plusieurs firmes de trading qui échange du pétrole comme n’importe quel autre produit financier. Celles-ci qui n’ont même pas la capacité technique de réceptionner ce pétrole et cherchent à se débarrasser de ces contrats par tous les moyens.

En temps normal, ils loueraient des espaces de stockage pour entreposer ce liquide, le temps de trouver un acheteur, mais les cuves sont déjà pleines et les dernières restantes se louent à prix d’or. Vous avez là la raison pour quoi certaines personnes ont été prête à payer pour que quelqu’un d’autre ne prenne en charge leur obligation. Il était maintenant moins cher de payer 30$ du baril pour s’en débarrasser qu’en payer 50 pour l’entreposer. Mauvaise nouvelle pour les le secteur pétrolier, nous pouvons parier que cela va se reproduire…

Encore plus de prix négatifs

La raison est simple, la demande n’a pas baissé de 10 mbj, mais bien de 30, et si les pays de l’OPEP+ ont décidé de réduire leur production, le reste du monde avec les États-Unis en tête n’a pas l’intention de le faire. Les Américains étaient déjà le premier producteur mondial, avec près de 13mbj, 19 en incluant les NGL, avant même que les pays de l’OPEP+ ne réduisent leur production.

Dans des conditions de marché normales, les lois économiques commenceraient déjà à évincer les acteurs les moins compétitifs, par exemple le pétrole de schiste américain. C’était toutefois sans compter sur un facteur déterminant pour comprendre la situation; les États-Unis subventionnent massivement leur production pétrolière, plus exactement à la hauteur de 2088 USD par habitant selon le FMI. À cela s’ajoutera sans doute une partie substantielle du programme d’aide économique de 2.2 trillions de dollars voté par le Congrès américain qui a pour but de soutenir son économie en réponse aux répercussions de la pandémie de Covid-19. Si tel est le cas, il y a peu de chance de voir une diminution de l’offre dans les prochains mois, ce qui met à table à d’autres prix négatifs tant que la demande n’augmentera pas.


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